Jongieux de glace et de feu 
Une situation dont on voudrait bien se passer... Pour la première fois, une lutte collective contre le gel a été mise en place sur notre secteur pour essayer de limiter les risques de gelées.
Les décisions ne sont pas faciles à prendre mais les pertes subies depuis ces dernières années nous ont poussé à tenter quelque chose. Un élan collectif incroyable est né, tant au niveau des vignerons, qu'au niveau des agriculteurs voisins.
Le millésime 2024 tout juste commencé s'annonce déjà inédit. Depuis l'automne passé, les cumuls de pluie sont impressionnants. Les sols gorgés d'eau et les chaleurs anormalement subies lors du mois d'avril ont favorisé le départ végétatif de la vigne. Les stades de développement de la vigne relevés entre les 13 et 15 avril montraient pour les parcelles et les cépages les plus précoces trois semaines d'avance par rapport à l'année passée. Nous le savons, les risques de gelées sont toutes les années présents plus ou moins jusqu'aux fameuses dates des saints de glaces : les 11, 12 et 13 mai.
En plus de ces dates, nous avons pour habitude et comme paramètre empirique d'écarter le risque de gelée lorsque "l'aubépin du Grand" (arbre situé sur les hauteurs de Jongieux) est en fleur. Cette observation transmise par les trois générations passées est un bon indicateur et un clin d'oeil au passé où les prévisions météorologiques ne se lisaient pas sur smartphone... Heureusement, nos aïeux ont pensé à nous le dire. Mais en 2024, le "baromètre de Jongieux" a dû prendre un peu d'avance et n'est peut-être plus aussi performant qu'il y a quelques décennies, la faute d'un climat déstabilisé. Au 12 avril il était déjà en pleine floraison... (voir photo).
Entre le 18 et 19 avril, le changement de temps prévu et les températures négatives prévues pour le 19 nous ont fait peur. Après concertation entre tous les vignerons du village et avec l'envie de tenter quelques choses, nous avons collectivement organisé une dispersion stratégique de bottes de foin et paille récupérées dans les fermes alentours pour se préparer à une éventuelle lutte par brûlage et enfumage contre les gelées. A 4 heures du matin le 19 avril, le ciel dégagé, les températures comprises entre 0 et 1 degré et l'humidité présente au sol nous ont fait passer à l'action. A 6 heures du matin, 35 points de brûlages ont été allumés pour noyer Jongieux et son vignoble sous la fumée. Les températures relevées descendent pour atteindre -2 à -4 degrés selon les secteurs à 7h30. La lutte a continué jusqu'aux premiers rayons du soleil qui arrivent vers 9h. Le constat est immédiat, certains secteurs sont touchés, d'autres moins et d'autres épargnés. Après réunion, débriefing collectif de notre action inédite et incontournable casse-croûte de ces moments, la tension est palpable et tout le monde sait que la catastrophe générale s'est jouée de très peu. Si on en reste là, c'est un moindre mal mais une seule nuit est passée et les prévisions prévoient encore une semaine très froide et des températures négatives. Les bottes de foin et de paille sont réinstallées en augmentant la répartition pour arriver jusqu'à 50 points de brûlage répartis sur les trois communes de Jongieux, Billieme et Lucey où les dégâts sont les plus importants.
Les jours suivants, la décision de déclencher une lutte est prise en concertation après évaluation des conditions climatiques et des risques du moment entre 4 et 5 heures du matin. Le mercredi 24, les conditions ne sont pas réjouissante : notre deuxième jour de lutte s'annonce. Après un rendez-vous collectif et un café avalé en express à 5 heures, les rôles de chacun sont distribués. Juste avant de commencer la lutte sur le secteur de Marestel, la décision est prise de ne pas allumer les bottes car la présence d'un vent légèr est constatée et les températures relevées sont de 1 à 1.5 degré. Sur le secteur entre Jongieux et Billieme la situation est différente et les feux sont allumés à 6 heures. Les températures relevées sur ce secteur descendent à -2 degrés à 7h30. L'après-midi est une nouvelle fois consacrée à la mise en place de nouvelles bottes mais la situation s'améliore et le risque de nouvelles gelées est écarté pour les nuits suivantes. La décision est prise de laisser en place le dispositif jusqu'au 15 mai.
Nous pensons que lors de la nuit du vendredi 19, nous avons été efficaces et avons peut-être sauvé une partie de notre future récolte. Nos actions ne pourront jamais être vérifiées. Cependant, l'esprit collectif et de solidarité, une nouvelle fois démontré sur notre secteur, a été incroyable et fait chaud au coeur. Les dégâts sont bien présents mais acceptables. L'année risque encore d'être très longue !
Quelques infos sur cette lutte :
- la situation est complétement légale,
- l'action n'est réalisée que si toutes les conditions sont réunies et remise en question au jour le jour,
- le foin et la paille utilisés pour les feux ne sont plus utilisables pour le bétail,
- la lutte commence à 5h jusqu'aux premiers rayons du soleil,
- les 35 feux allumés sont positionnés stratégiquement et gérés par 18 vignerons,
- le but est de créer un brouillard qui fera "couverture".
